Compagnie Générale Transatlantique
S/S « ILE DE
FRANCE »
1926 – 1959
Paquebot
transatlantique
Ile de France
Havre
Historique X. Maillard (2001/2004)
http://ferries.online.fr/cgtm/iledefrance.htm
Plus
grand paquebot transatlantique au moment de son lancement en France entre les
deux guerres, construit en acier, doté de quatre hélices, deux mâts et trois
cheminées (à l’origine), puis deux cheminées (après guerre). Mis sur cale
d'octobre 1924 à mai 1927 dans les chantiers navals de Penhoët à Saint-Nazaire.
Construit pour une mise en service sur la ligne de New York, il est le navire
amiral de la flotte de la Compagnie Générale Transatlantique jusqu’en 1936
(baptême du S/S NORMANDIE). En 1912,
la Compagnie Générale Transatlantique avait envisagé de renforcer sa flotte par
quatre grands navires, inaugurés par intervalles de cinq ans. Le premier, le
PARIS, fut lancé en 1916 mais attendit encore cinq ans pour être achevé. La
construction du second, ILE DE FRANCE, fut reportée en raison de la Grande
Guerre. Les médailles d’ILE DE
FRANCE : Croix de Guerre avec Palmes, Croix de Chevalier du Mérite Maritime, faits rarissimes s’agissant d’un navire.
Merchant Gallant Ship Award, décoration américaine, décernée une seule fois à
un navire étranger…
Long de
241,64 m sur 28 m, disposant d’un tirant d’eau de 9,85 m, il comporte quatre
turbines Parsons totalisant 55 000 cv pour une vitesse en service de 23 nœuds.
L’ILE DE FRANCE accueille 658 passagers en 1ère classe, 398 en 2nde
classe et 498 en 3ème. Il est armé par un état-major et un équipage
de 761 personnes.
Destiné à
remplacer les anciens paquebots LA
TOURRAINE et LA LORRAINE, le S/S ILE DE FRANCE est
mis sur cale le samedi 25 octobre 1924. Il sera lancé le dimanche 14 mars 1926
aux Ateliers et Chantiers de France à Saint Nazaire - Penhoët. La cérémonie de
baptême a lieu le jour même du lancement, sa marraine étant Madame Fould, son
port d’attache Le Havre.
Lors des premiers essais de
moteurs au bassin de Saint-Nazaire, le S/S ILE DE FRANCE rompt brusquement ses
amarres et gagne aveuglément la sortie d’un bassin fermé : le navire
menace de s'écraser contre les portes de l'écluse mais les battants fermant ce
bassin s’ouvrent au dernier moment, et le Commandant Blancart, seul à la barre,
parvient à manœuvrer le navire sans une éraflure, le faisant accoster en toute
sécurité.
Après deux séries d'essais à Saint-Nazaire puis à Brest, ILE
DE FRANCE arrive au Havre le dimanche 05 juin 1927, et, le mercredi 22 juin, il
quitte le port normand pour effectuer son premier départ à destination de New
York, où il reçoit un accueil triomphal au terme de son voyage inaugural.
L’arrivée triomphale à New York (bateaux-pompe et jets d’eau, remorqueurs,
sirènes, aviation, presse) est uniquement réservée au voyage inaugural d’un
paquebot.
L'année suivante, le lundi 13 août 1928, il effectue, à 400
milles de New York, le premier catapultage d'un avion postal (le « Liore-Olivier »)
depuis un paquebot transatlantique. Fabriquée à Penhoët, la catapulte du S/S ILE DE FRANCE lançait, depuis la
plage arrière du navire, un hydravion de 6,5 tonnes, propulsé à 110
kilomètres/heure. Alors que la traversée s'effectuait en six jours,
l'hydravion, lancé le quatrième jour, permettait d'acheminer le courrier à New
York en quelques heures. ILE DE FRANCE transporte en fait, événement majeur, le
premier avion qui atterrit aux U.S.A. depuis un navire étranger (l’hydravion
tombera à la mer à son vingt-neuvième lancement, après deux heures de vol, et
un chalutier britannique repêchera équipage et courrier).
De juin 1927 à septembre 1939, ILE DE FRANCE effectue 346
traversées de l'Atlantique au cours desquelles il transporte 245 000 passagers.
La Transat devra à ILE DE FRANCE les plus beaux résultats de son
histoire, affichant dès 1928 des recettes d’un milliard de francs. Durant la
prohibition, ILE DE FRANCE est surnommé « le plus grand bar de l’Atlantique ».
Il ne quitte jamais New York avant minuit car, en cette période, les passagers
en partance se découvrent beaucoup « d’amis » de la terre ferme qui ne veulent
plus les quitter…
Le mardi 1er janvier 1929, en entrant de nuit au
Havre, ILE DE FRANCE heurte le
musoir sud du bassin de marée, et s'occasionne d'importantes avaries à tribord
avant.
Du mois de novembre 1932 au mois d’avril 1933, le navire est
transformé et modernisé.
En 1935, il inaugure la nouvelle escale à Southampton, qui
remplace désormais celle de Plymouth.
Le samedi 09 septembre 1939, à son arrivée à New York, peu après la déclaration de guerre, ILE DE
FRANCE est désarmé dans le port américain. Remorqué aux quais de Staten Island,
il y reste jusqu’en mars 1940. Le mercredi 1er mai 1940, il appareille de New
York et rejoint Marseille.
Vendredi 10 mai 1940, ILE DE FRANCE est réquisitionné. Il
subit à Marseille des travaux d'aménagement qui le transforment en transport de
guerre, puis appareille pour l’Océan Indien et l'Extrême-Orient le vendredi 31
mai 1940 avec mission de ramener des travailleurs civils Indochinois. Arrêté à
Singapour par l’Armistice, ILE DE FRANCE, sous les ordres du Commandant Arnold,
originaire de Bretagne, s’intègre aux FNFL et, par la gestion de la compagnie Cunard, au dispositif allié (alors que
l’ILE DE FRANCE était menacé par une mine anglaise, le Cdt Arnold arma un canot
pour chercher la mine et la remorquer loin de son navire).
Saisi par les Britanniques à Singapour où il s’était
dérouté, le navire est donné en gérance à la P&O. ILE DE FRANCE fit toute
sa carrière comme transport de troupes, ayant une capacité de 4800 hommes, et
opéra dans un premier temps dans l’Océan Indien.
Le vendredi 21 mars 1941, ILE DE FRANCE quitte la Malaisie
pour l’Australie. Il arrive à Sydney le jeudi 03 avril. Après y avoir embarqué
une division australienne, il reprend la mer le vendredi 11 avril, met le cap
sur Suez. Avec les paquebots transatlantiques transformés en transport de
troupes QUEEN MARY, QUEEN ELIZABETH, MAURETANIA (flags-ships britanniques) et
NIEUW AMSTERDAM (navire amiral hollandais), réquisitionnés tout comme le S/S
ILE DE FRANCE, il forme le plus important convoi de navires de la Seconde
Guerre Mondiale. En dépit des 45.000 tonnes d’ILE DE FRANCE, le Commandant
Lehuédé lui fait franchir sans encombres le canal de Suez -traversée jugée
irréalisable- en raclant parfois le fond, mais sans dommage.
A partir de 1944, ILE DE FRANCE
sert aux liaisons militaires entre les Etats Unis d’Amérique et la Grande
Bretagne.
Restitué à la France par les
autorités britanniques le samedi 22 septembre 1945, le navire est réarmé, cette
fois avec un équipage intégralement français, et effectue à partir de ce
moment de nombreuses traversées de rapatriement de soldats vers le Canada et
les Etats-Unis.
A partir du mois de juillet 1946, ILE DE FRANCE assure des
convois de troupes françaises vers l’Indochine. Le paquebot escale à nouveau
brièvement à Marseille le mardi 24 septembre 1946, au cours d'un retour
d'Indochine avec 6.000 rapatriés. Il embarque ensuite 4000 passagers pour Oran
et 2000 pour Casablanca.
Le mardi 22 octobre 1946, il effectue son premier voyage
civil depuis 1940, sur la traversée Cherbourg – New York et sous le pavillon de
la Compagnie Générale Transatlantique.
Ses états de service
exceptionnels durant le conflit mondial [le S/S ILE DE FRANCE ayant accueilli pendant
les hostilités plus de 485.000 combattants entre le Canada, Madagascar,
l’Indochine, l’Australie, les U.S.A. et l’Angleterre…(en comptant, jusqu'en
1947, les soldats dont il a assuré le rapatriement au Canada ou ceux
d’Indochine)] seront récompensés par l'attribution de la Croix de Guerre avec
Palmes au moment de sa déréquisition en avril 1947 (durant toute la durée du
conflit, il aura déjoué tous les dangers sur 650.000 milles [30 fois le tour de
la Terre], et participé au plus important convoi de la seconde guerre
mondiale).
Après sa démobilisation, le paquebot est remis aux chantiers
de Penhoët, le lundi 21 avril 1947, pour y subir une refonte totale. On
supprime une cheminée ; les emménagements sont repensés et modernisés. La
climatisation équipe désormais les 1ère et 2nde classes,
tandis que le navire est également doté d'une salle de spectacle et d'une
piscine, ainsi que d'un superbe grand salon, le « Café de Paris », où
de larges baies vitrées s'ouvrent sur la mer.
ILE DE FRANCE reprit
son service le jeudi 21 juillet 1949, transformé et modernisé sous une
silhouette profondément changée avec deux cheminées et de nouvelles machines.
La remise en ligne du S/S ILE DE FRANCE fut un événement : le lundi 18 juillet
1949, le Président de la République Française inaugurait officiellement le
paquebot. Le nouveau navire amiral de la flotte de la Compagnie Générale
Transatlantique, le S/S NORMANDIE (inauguré en 1936), confisqué par les
Américains en 1942, ayant coulé dans d’étranges circonstances dans le port de
New York en février 1942, ILE DE FRANCE, rénové à Saint-Nazaire de 1947 à 1949,
remanié et auréolé de son passé déjà glorieux, est exceptionnellement acclamé à
New York fin juillet 1949 par un deuxième accueil triomphal, le second de sa
carrière !
Le navire
reprend une brillante carrière avec une popularité grandissante, non seulement
due à l'agrément du service
offert, mais aussi par ses interventions généreuses auprès de navires naufragés
rencontrés en mer (le navire reçoit le surnom de « Saint-Bernard de la
mer », titre qui lui sera confirmé par la suite des événements).
Le
mercredi 13 septembre 1950, ILE DE FRANCE se porte au secours du bateau de
pêche Thérèse, alors que ce
dernier sombre dans l'Atlantique ; puis le mardi 18 décembre 1951, il
assiste le navire américain Chiswick.
Le mercredi 28 mars 1951, le Président Vincent
Auriol embarque à bord d’ILE DE FRANCE et il écrit ensuite au Président de la
Compagnie à propos de son voyage : « J'ai remarqué, comme le jour de
l'inauguration de l’ILE DE FRANCE, la remarquable installation et la parfaite
organisation de ce splendide bateau qui est l'honneur de notre pays ».
Seulement
propulsés par des hélices arrière, les paquebots sont peu manoeuvrables et
plusieurs remorqueurs sont nécessaires au départ et à l’arrivée, surtout à New
York où le puissant courant de l’Hudson River déstabilise des navires qui,
prêts à accoster, ont de surcroît réduit leur allure. Au cours d’une grève des
remorqueurs du port de New York, le jeudi 05 février 1953, ILE DE FRANCE
réussit à accoster au Pier 88 par ses propres moyens, libérant ainsi ses
passagers en respectant l’horaire. Cette prouesse technique lui vaut les éloges
de la presse américaine, qui salue le courage et la prouesse de son Commandant
de bord.
Le paquebot se déroute le dimanche
20 septembre 1953 pour porter secours au cargo libérien Greenville ("20 - 6343th à Worldwide SS C' de Monrovia),
sauvant la vie de 24 marins
sur 26. Cette action est saluée par les félicitations de Vincent Auriol,
Président de la République Française, au personnel navigant d’ILE DE FRANCE.
L'écrivain André Chanson qui effectuait une croisière sur le paquebot, a laissé
de ce moment un témoignage.
En 1953, l’Italie inaugure sur la
prestigieuse ligne Gênes-New York son plus beau et plus grand paquebot, «
ANDREA DORIA », équivalent italien du Queen Elizabeth ou du défunt Normandie.
Le mercredi 25 juillet 1956, à
23h15 et par temps de brouillard, le paquebot italien ANDREA DORIA ("53 -
29 083tb à la compagnie Italia de
Gênes), arrivant en provenance de Gênes, est éperonné au large de la côte
new-yorkaise par le paquebot suédois STOCKHOLM (quittant New York).
La gîte de l’ANDREA DORIA ne
permettant pas la mise à l'eau de ses embarcations de sauvetage pour les mille
passagers et l'équipage, l’état-major du navire émet plusieurs SOS sollicitant
l’intervention de tous les navires croisant dans les environs.
Le S/S ILE DE FRANCE, commandé par
le baron Raoul de Beaudéan et ayant à son bord 940 passagers et 826 membres
d’équipage, capte l’un de ces Save
Our Souls alors qu’il navigue en direction du Havre après avoir quitté New York
peu avant le départ du Stockholm. Alors que le Commandant de Beaudéan se trouve
au radar, son officier-radio, Pierre Allanet, gagne la passerelle pour l’informer
de la nouvelle d’un désastre en mer. Allanet vient de capter un SOS émanant de
l’ANDREA DORIA et relayé par un navire non identifié à 23h30, mais le radio n’a
rien capté de l’ANDREA DORIA même. Le baron de Beaudéan prend connaissance du
message (« SOS AT 0320 GMT LAT. 40-30 N, 69-53 W. NEED IMMEDIATE
ASSISTANCE »). Conscient du fait que l’ILE DE FRANCE se trouve déjà trop
loin du lieu supposé de l’accident, le Commandant renvoie son officier-radio
pour plus d’informations ; tandis qu’il se renseigne sur la position exacte de
son navire. Pierre Allanet revient ensuite avec des détails supplémentaires, et
informe le Commandant de Beaudéan que l’ANDREA DORIA a été éperonné par le
paquebot STOCKHOLM, et que plusieurs petits navires se trouvent déjà sur place.
Raoul de Beaudéan est alors confronté au problème le plus important de sa
carrière : prendre
l'initiative de rebrousser chemin alors qu'il n'a pas eu confirmation du
naufrage, enfreignant en cela les règles imposées par les armateurs, ou
poursuivre sa traversée vers la France. Son geste sera d'autant plus important
que cela ne fait pas plus d’un mois qu'il commande l’ILE DE FRANCE, et qu’il
risque de remettre en cause ses 35 ans de carrière.
En
effet, aucun des messages ne mentionne le fait que l’ANDREA DORIA soit en train
de sombrer. Mais il y a des SOS demandant une assistance immédiate, et il ne
peut les ignorer. Son hésitation concerne le fait que l’ILE DE FRANCE ne soit
peut-être pas indispensable pour un éventuel sauvetage, sachant de surcroît
qu’il n’a pas l’obligation de porter assistance au naufragé. De Baudéan est
cependant conscient de l’appel au secours. Or, s’il venait à porter secours aux
naufragés alors que son transatlantique très gourmant en consommation de fuel
n’était pas indispensable au sauvetage, comment allait-il l’expliquer à la
Compagnie Générale Transatlantique ? S’il était indispensable, la
direction de la French Line ne lui reprocherait jamais son intervention.
En
définitif, la responsabilité de prendre une quelconque décision ne revient
qu’au Commandant de Beaudéan, « seul maître à bord après Dieu »
(comme dira de lui plus tard le Ministre français de la Marine Marchande). A
23h40, ILE DE FRANCE demande par message-radio à l’ANDREA DORIA de lui
confirmer son besoin d’assistance immédiate (« DO YOU NEED
ASSISTANCE »). ANDREA DORIA réplique immédiatement par l’affirmative
(« NEED IMMEDIATE ASSISTANCE »), mais ILE DE FRANCE ne reçoit pas ce
dernier message en raison d’un problème de communication. ILE DE FRANCE
s’adresse alors au STOCKHOLM, qui lui répond ne pouvoir participer à un
quelconque sauvetage des passagers de l’ANDREA DORIA, en raison de sa propre
situation critique. ILE DE FRANCE reçoit bientôt des messages d’autres navires
lui signifiant que l’ANDREA DORIA a effectivement un besoin immédiat
d’assistance.
Le baron
Raoul de Beaudéan prend alors sa décision de se porter au secours du naufragé, sans en
référer à sa direction à Paris afin de gagner du temps. Il manoeuvre ILE DE FRANCE pour un virement de bord
(150°) et met immédiatement le cap, lançant son navire à toute
allure dans la brume, sur le lieu de
la collision distant
de 44 miles (?). A 23h54, onze minutes après son premier message pour l’ANDREA
DORIA, le Commandant de Beaudéan radio-télégraphie au Commandant de l’ANDREA
DORIA (« CAPTAIN ANDREA DORIA – I AM GOING TO ASSIST YOU – WILL REACH YOUR
POSITION 5:35 GMT (1:35 am). ARE YOU SINKING ? WHAT KIND OF ASSISTANCE DO YOU
NEED ? – CAPTAIN [ILE DE FRANCE] »). Aucune réponse ne vient de l’ANDREA DORIA, mais un petit navire se
trouvant sur le lieu de la scène relaie « SOS MESSAGE – DORIA WANTS TO
DISEMBARK 1500 PASSENGERS AND CREW. SUGGEST STRONGLY YOU HAVE ALL YOUR LIFEBOATS READY TO
ASSIST ».
Le
Commandant Raoul de Beaudéan s’adresse à la salle des machines, et demande à ce
que la vitesse de son paquebot soit portée au maximum. Il demande également à
son second-capitaine, le Commandant-en-second Christian Pettre, à ce que les
embarcations et équipes de sauvetage se tiennent prêtes à intervenir, en
veillant attentivement à ne pas affoler les passagers de l’ILE DE FRANCE.
L’équipage répond à l’appel de son Commandant avec esprit et enthousiasme. Les
nouvelles de la collision se répandent à travers tout l’équipage, et la plupart
des membres se trouvant au repos après une journée de travail prennent part aux
mesures d’urgence.
Une
heure et cinq minutes après la collision, le STOCKHOLM reçoit un appel de
détresse de l’ANDREA DORIA : « YOU ARE ONE MILE FROM US. PLEASE IF POSSIBLE. COME IMMEDIATELY
TO PICK UP OUR PASSENGERS MASTER. » Le Commandant suédois ne compris pas de suite pourquoi l’ANDREA DORIA
se trouvait dans l’impossibilité de lancer ses propres canots de sauvetage, et
il ne put se résoudre à mettre à l’eau ceux du STOCKHOLM (également avarié,
mais beaucoup moins dramatiquement), ne désirant pas mettre en péril la vie de
ses propres passagers. Il radio-télégraphie à l’ANDREA DORIA : « HERE
BADLY DAMAGED. THE WHOLE BOW CRUSHED. NUMBER ONE HOLD FILLED WITH WATER. HAVE TO STAY
IN OUR PRESENT POSITION. IF YOU CAN LOWER YOUR BOATS. WE CAN PICK YOU UP
MASTER. » Une minute plus tard, à minuit vingt-et-un, ANDREA DORIA
réplique : « YOU HAVE TO ROW TO US. » Et une minute plus tard, le STOCKHOM répond : «LOWER YOUR
LIFEBOATS. WE CAN PICK YOU UP. » Treize minutes plus tard, le Commandant italien de l’ANDREA DORIA
envoie une explication avec un nouvel appel de détresse (« WE ARE BENDING
[listing] TOO MUCH. IMPOSSIBLE TO PUT BOATS OVER SIDE. PLEASE SEND LIFEBOATS
IMMEDIATELY»). Le Commandant
du STOCKHOLM s’entretient avec ses seconds, puis répond à l’ANDREA DORIA que la
plupart de ses canots seront à l’eau d’ici quarante minutes.
Plus tard, à 05h45, tandis qu’ILE
DE FRANCE approche des lieux de la collision, ANDREA DORIA est déjà couché sur
le flanc.
Le Commandant Raoul de Beaudéan
fait alors illuminer intégralement ILE DE FRANCE, acte en principe uniquement
autorisé à quai, afin d’apaiser les passagers naufragés apercevant au loin dans
la brume les formes de son bâtiment, de calmer la panique et de leur ramener
l'espoir au cœur
.
A 07 heures du matin, ILE DE
FRANCE, qui a stoppé à 400 mètres du navire en détresse et qui a lancé ses
embarcations de sauvetage à la mer, recueille progressivement à son bord sept
cent cinquante trois rescapés, certains accrochés au bastingage du navire
éperonné. Peu après la fin du sauvetage, ANDREA DORIA coule (« mutilant le rêve
de tout un pays, l’Italie », selon un chroniqueur de l’époque). Perpétuant son
histoire, ILE DE FRANCE confirme son surnom de « Saint-Bernard ».
Le baron
de Beaudéan fait ensuite demi-tour et regagne New York.
Bien que l’arrivée triomphale à
New York (bateaux-pompe et jets d’eau, remorqueurs, sirènes, aviation, presse)
d’un paquebot soit uniquement réservée au voyage inaugural, le jeudi 26 juillet
1956, rebroussant chemin sur New York avec ses 753 rescapés d’ANDREA DORIA
attendus par leurs proches, ILE DE FRANCE reçoit, fait unique au monde dans
l’histoire maritime !, une troisième arrivée triomphale (avec
bateaux-pompes, jets d’eau, sirènes, ….).
Aussitôt après avoir accosté
triomphalement dans le port New-Yorkais et après avoir débarqué les naufragés,
le Commandant de Beaudéan veut repartir aussitôt vers l’Europe pour ne pas
retarder davantage ses propres passagers, mais son paquebot est pris d’assaut
toute une nuit durant par une foule en liesse -exceptionnelle publicité qui
ravit la direction générale de la Compagnie Générale Transatlantique à Paris!-
et ne pourra appareiller que le lendemain !
Associé à ses lecteurs, le grand
journal italien « Il Tempo » fera frapper une médaille pour ILE DE
FRANCE. Le nombre de
victimes du naufrage de l’ANDREA DORIA ne fut en effet réduit que grâce à
l'héroïque intervention du navire commandé par de Beaudéan. ILE DE FRANCE reçut
en outre la Croix de Chevalier du Mérite Maritime et la Merchant Gallant Ship
Award, décoration américaine, qui n'avait jusque là été remise qu'à neuf
navires ayant participé à des actions d'éclat durant la seconde Guerre
mondiale. L'ILE DE FRANCE fut le seul navire à recevoir cette distinction en
temps de paix, distinction décernée pour la première fois à un bateau étranger.
Le mardi
26 février 1957, au cours d’une croisière dans les Antilles, le S/S ILE DE
FRANCE s'échoue par l'arrière sur un fond rocheux de la baie de Fort-de-France
(Martinique). La coque ne souffre pas de l'accident, mais les hélices et le
gouvernail sont endommagés. Le transatlantique interrompt sa croisière.
Remorqué à Newport News, puis à New York, ILE DE FRANCE reprend
la mer le mercredi 1er mai pour Le Havre.
Le
dimanche 17 novembre 1958, l’ILE DE FRANCE
achève son dernier voyage sur la ligne de New York.
Le 26
février 1959, à 10 heures du matin, ILE DE FRANCE franchit pour la dernière
fois les digues du Havre, salué à la corne de brume par tous les navires
présents. Au terme d'une vie mouvementée, il est vendu à la démolition au Japon
pour 450.000 £ et prend pour son
dernier voyage le nom traduit de FURANZA
MARU (= « navire français ? »).
Le S/S ILE
DE FRANCE, vendu à des Japonais pour la casse (il gagne les chantiers de
démolition d'Osaka) effectue sa dernière apparition publique sous le nom de
CLARIDAON, dans le film catastrophe "The last voyage " (le
transatlantique était loué 4.000 $ par jour).
LA FORME ÉCLUSE JOUBERT - (Port Autonome
de Nantes - Saint Nazaire) - En 1919, le Port de Saint Nazaire prévoyait la
construction d’un troisième bassin, et la canalisation du Brivet jusqu’au canal
de Nantes à Brest. Ces projets furent jugés trop onéreux pour un « port en
léthargie », dont le trafic s’était effondré après la Grande Guerre. Or,
l’augmentation constante de la taille des paquebots allait poser, dans les
années 1920, le problème de la dimension des ouvrages portuaires. Ainsi, l’ILE
DE FRANCE, mis sur cale en 1925, lancé le 14 mars 1926, n’entra que de justesse
dans le bassin : le navire faillit rester coincé dans le sas de l’entrée
sud, trop étroit. « Si des améliorations importantes ne sont pas
immédiatement apportées au port de Saint-Nazaire, l’histoire de Saint-Nazaire
s’arrêtera à l’ILE DE FRANCE ! » annonça le Président du Conseil
d’Administration de la Compagnie Générale Transatlantique, faisant part de son
inquiétude sous forme d’avertissement.
Une ère de grands travaux allait s’ouvrir… Et la
grande et célèbre « Forme-écluse Joubert » fut !
Cette « forme », à la fois écluse à sas,
entrée directe dans le bassin de Penhoët et cale sèche, était d’autant plus
nécessaire qu’un nouveau super-paquebot, le S/S NORMANDIE, de taille colossale,
commandé en 1931, était déjà à l’étude en 1927 (ses dimensions de 313,75 m de
long sur 35,50 m de large étaient déjà arrêtées et étaient telles que sa
construction à Saint-Nazaire ne pouvait se réaliser que si le port se dotait
d’une forme-écluse suffisamment grande pour permettre son entrée dans le bassin
de Penhoët et ses travaux de finition en cale sèche ; les navires de cette
taille n’ayant plus la possibilité, une fois lancés dans l’estuaire de la
Loire, d’accéder au quai d’armement du bassin de Penhoët). Les travaux
commencèrent en février 1929 et, en octobre 1932, le S/S ILE DE FRANCE, pouvait
déjà passer dans la forme. La réception définitive eut lieu en 1934 (dépense
totale : 120 millions de francs) et la forme-écluse longue de 350 m sur 50
m de large (tirant d’eau : 15m25) fut baptisée du nom de Louis JOUBERT,
Président de la Chambre de Commerce décédé en 1930. La seconde fonction de la
forme-écluse Joubert était de pouvoir servir de cale sèche pour la construction
et la réparation des navires dont NORMANDIE bénéficia le premier. En ce cas, la
forme-écluse Joubert est le prolongement historique des trois formes de radoub
du bassin de Penhoët. La forme Joubert
entrait en service en 1934. Elle accueillait le S/S NORMANDIE pour sa finition
en 1935. (Sources : envoi postal de l’Ecomusée de Saint Nazaire, 17 avril
1998). Célèbre par le fameux et
héroïque raid aérien allié du 27 mars 1942 sur Saint-Nazaire, dont le principal
objectif était de la faire sauter à l'aide du "Campbeltown", pour
empêcher son utilisation par la Marine Allemande, la forme écluse
"JOUBERT" a été utilisée depuis le NORMANDIE par d’autres unités de grandes dimensions, dont le
S/S FRANCE (mis sur cale le 15 Avril 1960, lancé le 11 mai 1960 avec Yvonne De
Gaulle pour marraine, et qui se rendit ensuite dans la forme JOUBERT où se
déroula, entre autres, le 17 Juillet 1960, la pose du gouvernail), et d’autres
paquebots de croisières. Lors de sa construction (1994-1996), le navire amiral
de la SNCM (héritière des services passagers méditerranéens de la Transat),
le paquebot-transbordeur NAPOLEON BONAPARTE, a eu les honneurs de la forme
« JOUBERT » pour ses finitions (c’est d’ailleurs depuis la forme
JOUBERT que le NAPOLEON BONAPARTE quitta les Chantiers de l’Atlantique pour
rejoindre Marseille). Quelques années auparavant, le vendredi 26 septembre
1980, à 21 heures, les Chantiers Dubigeon de Nantes procédaient au lancement du
C/F ESTEREL, en construction pour la Société Nationale Maritime
Corse-Méditerranée (SNCM) dans la cale 3 du site de Nantes : au lieu de
glisser sur son axe, le navire prit une importante gîte sur bâbord, et ne se
redressa qu’en touchant l’eau. Afin d’évaluer les conséquences de cet accident,
l’ESTEREL fut remorqué à Saint-Nazaire pour carénage et finition… dans la forme
« JOUBERT ».
UN PAQUEBOT DE NOUVELLE GENERATION : ILE DE FRANCE - Selon la volonté du Président John Dal Piaz de la
Compagnie Générale Transatlantique, un paquebot se devait d’être une création,
et non une copie ou une anthologie flottante des styles et reliques de
l'histoire. Sa décoration et sa forme sont d'une grande originalité alors que
les anciens paquebots reproduisaient des structures terrestres - palais
Renaissance, palaces du XIX° siècle - et des éléments traditionnels du
classique jusqu'au baroque. Elles sont inspirées par la célèbre exposition
internationale des Arts décoratifs et industriels modernes qui s'est tenue à
Paris en 1925 et qui a donné naissance au terme Arts déco. Les créateurs et les
décorateurs les plus célèbres et les plus inventifs rivalisent pour avoir la
chance d'apporter leur contribution à cette création vedette des temps
modernes. Il n'existait pas deux décors semblables parmi les 139 cabines de
première classe, les 10 suites de luxe ou les 04 appartements de grand luxe.
Les locaux mis à la disposition de 1.689 passagers, cabines et appartements de
luxe largement éclairés, ventilés, abondamment pourvus d'eau courante, salons
de conversations, salle à mangers..., étaient répartis sur le pont supérieur le
pont promenade et cinq ponts désignés par les lettres A, B, C, D, E. L'entrée
s’effectuait au cœur du navire, sur le palier de la descente centrale, qui
constituait un vaste dégagement vertical servant de liaison entre toutes les
parties décorées. Le S/S ILE DE FRANCE était aussi le premier paquebot à
posséder une chapelle (80 personnes). Elle comportait deux étages sur une
hauteur de 6 mètres, avait la forme d'une nef de 9 mètres de long, 7 de large.
Les quatorze travées de l'abside, sur lesquelles reposait la suite du chœur qui
était dessinée en fond de coupole étaient dédiées aux stations du Chemin de
Croix. L'autel en forme de conque, était érigé sous un grand arc et surmonté
d'une croix lumineuse en verre. L'atmosphère de luxe et de raffinement de l’ILE
DE FRANCE lui vaudra le surnom de "Rue de la Paix de l'Atlantique",
et le style paquebot sera bientôt adopté sur les bateaux anglais, allemands,
italiens...
L’ILE DE FRANCE était particulièrement apprécié par les millionnaires
américains en raison de son statut de navire étranger qui lui permettait
d'échapper aux lois fédérales américaines sur la prohibition. Bien que le
service du Trésor et l'Administration des Impôts américains aient essayé
d'empêcher la livraison d'alcool à bord, les passagers et l'équipage pouvaient
y jouir des vins les plus fins.
LE LANCEMENT DU PAQUEBOT ILE DE
FRANCE (Journal
l'Illustration du 20 mars 1926)
(Source
http://www.24pm.com/maritime/)
« Dimanche dernier, aux
chantiers de Penhoët, à Saint-Nazaire, on a lancé le paquebot ILE DE FRANCE,
construit pour la Compagnie Générale Transatlantique, qui le destine au service
maritime postal entre Le Havre et New-York. M. Mario Roustan, Sous-secrétaire
d'Etat à la Marine Marchande, M. John, dal Piaz, Président du Conseil
d'Administration de la Compagnie Générale Transatlantique, et de nombreuses
personnalités maritimes et commerciales assistaient à l'opération. Ce navire,
le plus grand mis en chantier jusqu'à ce jour par une compagnie française,
mesure 241 mètres de long, 28 de large et le neuvième de ses ponts, dont cinq
s'étendent d'une extrémité à l'autre, s'élève à 30 m.45 au dessus de la quille.
C'est une véritable cathédrale flottante, et la rue de la Paix, large de 21
mètres et longue de 238, entre l'Opéra et la place Vendôme, ne pourrait le
contenir. Ajoutons qu'il jauge 41.000 tonneaux, que son tirant d'eau en charge
est de 9.65 m, sa puissance de 52.000 chevaux et sa vitesse de 23 nœuds. Il
pourra transporter 1.750 passagers en cabines et son équipage (officiers,
matelots, mécanicien, personnel civil, etc…) groupera un effectif de 803
personnes. Le lancement d’ILE DE FRANCE n'a pas été réalisé, comme on l'a dit,
par le système de la savate : pièce de bois interposée entre les tins de la
cale et la quille et qu'habituellement l'on scie à l'avant, la partie libérée
glissant alors vers la mer avec le navire. On a procédé différemment pour ILE
DE FRANCE. La coque reposait sur un berceau posé lui-même sur un double chemin
de glissement, rendu plus lisse par une couche abondante de suif. Pour retenir
le navire sur cette pente, on avait ajusté symétriquement deux verrous
hydrauliques auxquels s'ajoutait l'effet des tins secs, surfaces de bois non
suiffées formant frein et qu'on retire au moment de la mise à l'eau. Deux
groupes de verins hydrauliques, dont la poussée équivalait à 400 tonnes,
étaient disposés de gauche à droite. A un
signal donné, tandis que la marraine, Mme Fould, coupait le ruban symbolique,
les verrous de décrochage furent manœuvrés et les vérins entrèrent en action.
On vit jouer quatre pistons géants allongés hors de leur cylindre ; et l’ ILE DE
FRANCE démarra majestueusement sur la
pente lubrifiée par 26.000 kilos de suif. Ce fut alors la ruée pittoresque des
pilleurs de suif montés sur de petites embarcations, obstinés à leur fructueuse
cueillette malgré deux lances croisant leurs jets à l'entrée du bassin de
lancement. Ce majestueux paquebot fait partie du programme de construction que
la Compagnie Générale Transatlantique réalise progressivement pour maintenir
honorablement le rang qu'elle occupe dans le trafic international de
l'Atlantique Nord. »
Sources : « La Transat & Marseille », « Toi l’Horizon », « La CGT, Histoire de la Flotte », documentation Ecomusée de Saint Nazaire (1998), … - Sites web : http://www.24pm.com/maritime/, http://www.andreadoria.org/ - Historique X. Maillard (2001/2004) - http://ferries.online.fr/cgtm/iledefrance.htm - x.maillard@mageos.com
Voir aussi : Médaille du Mérite Maritime (Section 29 de la FNMM) avec la décoration du paquebot ILE DE FRANCE